Pour le coach Martin Bille Tanga: « ….Cette élimination semble traduire le niveau actuel de notre football local… »
Au lendemain de la sortie de l’équipe fanion A’ du Cameroun au Chan 2023 organisé en Algérie, cet expert du football national et international, a répondu aux préoccupations pertinentes de votre site d’informations.
1) Quelle analyse faites vous de l’élimination des Lions A’ au CHAN en cours en Algérie ?
1- Les lions A’ ont été éliminés après la défaite face au Niger, dans un match pour lequel il était légitime d’attendre un autre résultat… même si le premier match face au Congo a fait naître beaucoup d’espoirs, cette élimination nous semble traduire le niveau actuel de notre football local, d’autant plus que les clubs camerounais ne brillent pas ces dernières années par leurs prestations dans les compétitions internationales…
2) Qu’est-ce qui peut à votre avis justifier cette élimination que beaucoup estiment précoce ?
2- Le niveau actuel de notre football est la principale cause de notre élimination. On peut y ajouter des questionnements sur la logique de sélection ou la non-sélection de certains joueurs, par exemple, et se demander si le staff a pu ratisser assez large.. D’un autre côté, il est difficile de s’attendre à de très bons résultats quand les meilleurs éléments du championnat local s’expatrient à chaque fois.
3) Comment avez vous apprécié la rencontre face au Niger ? Et le comportement de l’équipe sur l’ensemble des deux matchs ?
3- Face au Congo, les lions A’ ont fait un match appréciable, avec une bonne possession et une domination dans l’ensemble, mais avec des soucis au niveau de la finition, mais avec une grande envie de gagner. Le contexte du 2e match a semblé présenter un piège : pour les Nigériens, l’objectif était très clair et simple, gagner pour se qualifier.. pour les Camerounais, on était plutôt assis entre deux chaises, l’une pour la victoire et l’autre pour le match nul; de plus, le Niger étant potentiellement inférieur au Cameroun, on a vu des Nigériens très engagés, combatifs dans les duels, face à des Camerounais qui ont changé certaines choses, et étaient un peu timorés. Après le but du Niger, les lions A’ se sont réveillés et ont mis plus de pression et d’engagement, malheureusement, les coups de pieds arrêtés et autres occasions de buts ont été vendangés, surtout par précipitation, maladresse, prétention ou manque de calme et de lucidité..
4) Cette élimination relance t’elle le débat sur le niveau réel du championnat camerounais ?
4- Bien entendu, on va questionner le niveau de notre football local, de notre championnat, même si les lions ratent leur qualification d’un cheveu.
Je constate par exemple qu’il n’y a pas de véritable filtre sur le plan du niveau, entre le football amateur et celui dit professionnel chez nous. Sous d’autres cieux, il faut satisfaire à certains minima pour espérer évoluer en élite.. ces minima n’existent pas chez nous.
5) cette élimination relance le débat sur le niveau l’entraînement au Cameroun de manière générale qui est très souvent critiqué. Quel est votre avis sur la question ?
5- le problème du niveau d’entraînement et d’encadrement peut se poser sous divers angles. La formation et les compétences, le niveau des joueurs, la disponibilité des infrastructures, la programmation, les moyens d’encadrement, etc… Le niveau d’entraînement peut être questionnable sans que les compétences des techniciens soient le problème.. Toutefois, les techniciens ont leurs responsabilités, c’est indéniable, parfois par « paresse » ou surmenage de travail, les staffs techniques n’étant pas suffisamment étoffés. On note toutefois que les dirigeants de clubs sont pour la plupart, un véritable frein au bon déroulement de certaines choses.
Tenez: depuis 30 ans, la préparation physique a connu un essor formidable à travers le monde, et le Cameroun est très en retard sur le sujet… les paramètres des footballeurs de haut niveau sont connus, sauf pour la plupart des techniciens 237, qui ne font d’ailleurs pas beaucoup d’efforts pour rattraper le retard; et le point faible, chez nous reste le travail de la force. Combien de clubs travaillent en salle de musculation pour mieux calculer et gérer les charges ? Les dirigeants de clubs ne veulent pas en entendre parler! C’est complètement aberrant ! Les infrastructures ne sont pas disponibles, conséquence, on pare souvent au plus pressé et le travail peut en être bâclé. D’un autre côté, beaucoup de jeunes se retrouvent à l’élite avec des tares qu’ils traînent depuis la formation, cela complique les choses. D’autres aspects peuvent être relevés également.
6) Cette sélection des A’ ne doit-elle pas être repensée dans sa configuration et son organisation à votre avis ?
6- cela va dépendre de la volonté politique et des objectifs à fixer, donc ça relève de la stratégie. Est-ce que elle va être l’antichambre de la sélection A ? Doit-elle être la scène d’exposition de nos talents locaux pour des besoins de transferts ? Ou doit-on voir en elle le reflet de notre football local pour créer d’une forte émulation dans nos compétitions nationales par la valorisation des talents qu’on y retrouvera ? Autant de questions qui demandent à être scrutées..
7) Aujourd’hui on parle d’une Direction de développement du football et de la DTN. N’y a t’il pas chevauchement dans les compétences ?
7- Pour dire vrai, les missions des uns et des autres doivent être clairement définies pour éviter un chevauchement. La DTN doit rester le véritable « patron », sur le plan technique. La direction de développement s’occupant plus de certains aspects plus en rapport avec l’économie, les compétitions, le calendrier, fluidité sur le traitement de certains dossiers, et des propositions qui n’ont pas un objet lié à la politique technique, sauf, peut-être pour l’implémentation de certains de ses aspects dans des domaines spécifiques. La DTN doit continuer de faire un travail de politique technique, et s’y améliorer.
J’ai tellement à cœur de voir des sas, des filtres, pour que n’importe qui ne se retrouve plus à tout niveau de compétition… ce filtre est déjà appliqué chez les entraîneurs et demande à s’améliorer, on attend qu’il soit également en vigueur chez les joueurs, par exemple.. un joueur qui n’a pas de niveau ne doit pas se retrouver à l’élite !
8) Quelle serait, selon vous, la meilleure formule pour mieux optimiser et organiser le championnat camerounais ?
8- commençons par résoudre tous les problèmes de calendrier et de programmation, les entraîneurs souffrent beaucoup pour la gestion des mesocycles et macrocycle, par exemple, n’ayant que très peu de moyens d’exploiter les stratégies de gestion et de progression au sein des meso ou macrocycles, par exemple.. Des dates précises des matchs ou journées , connues longtemps à l’avance, aideraient à résoudre au moins en partie ce problème, pour les techniciens compétents.
Il faut aussi imposer des filtres: aucun joueur ne devrait se retrouver à l’élite s’il ne peut satisfaire à certains minima. Le melting-pot actuel est un obstacle au rythme et au niveau de jeu. Un filtre doit également être imposé aux clubs sur l’encadrement des acteurs, et la disponibilité des infrastructures. une cellule de contrôle technique, rattachée à la DTN ou à l’institution qui tient lieu de ligue de football professionnel, doit veiller à ce que les paramètres des joueurs obéissent à ces exigences de minima.
Les staffs techniques doivent être suffisamment étoffés. On pensera aussi à des primes suffisamment costaudes pour une émulation entre clubs et acteurs, ce qui permettrait de réduire l’exode de nos meilleurs éléments. La formule des compétitions , championnats, doit être également approprié etc…Voilà quelques propositions qui feront déjà avancer les choses…
Recueillis par Sylvain Kwambi