Parcours: vie et mort du Pr Joseph Owona
(Ripostes,avec Wikipedia). L’éminent constitutionnaliste s’en est allé ce 6 janvier 2024, terrassé par la maladie. Le juriste est décédé à Bordeaux en France.
« J’ai le regret de vous annoncer le décès de notre patriarche, notre père Joseph Owona. (……). C’est une nouvelle triste, mais notrr père nois avait préparé à celà. Il ne reste plus qu’à la grande famille Nguni Fouda, de lui réserver des obsèques à sa mesure (…) ». Ces mots sont ceux du Pr Mathias Eric Owona Nguini, fils du Pr Joseph Owona, décédé ce samedi 6 janvier 2024.
De sources familiales, l’éminent juriste a rendu l’âme de suite de maladie, au Centre Médico-chirurgical de Bordeaux. Affaibli par la maladie, le Pr Joseph Owona avait urgemment été transféré dans cette formation sanitaire hexagonale. Il était âgé de 79 ans. Né le 25 janvier 1945 à Akom dans le département de l’Océan, dans la région du Sud Cameroun. Il fait ses études supérieures à l’Université de Yaoundé, puis en France à l’université Panthéon-Sorbonne. Il est titulaire d’une licence en droit, du DES en droit public, du DESS en sciences politiques, du doctorat d’État en droit public. Le Pr Joseph Owona a été lauréat du concours français d’agrégation en droit public et en science politique.
Il commence sa carrière académique en tant qu’assistant à l’université Panthéon-Sorbonne de 1969 à 1972, puis à l’université de Yaoundé de 1972 à 1977, en qualité de chargé de cours au sein la faculté de droit et sciences économiques. Il occupe au même moment plusieurs postes de responsabilité dont celui de membre de l’Académie des sciences de la république du Cameroun, et régulièrement reçu comme professeur visiteur à l’Institut d’Afrique de l’Académie des sciences de l’URSS.
Il a enseigné durant plus d’une quarantaine d’années dans plusieurs universités africaines et du monde. Il assure la fonction de chef du service enseignement et recherche à l’université de Yaoundé en 1973, puis chef du département de droit public en 1976. Il est nommé directeur de l’Institut des relations internationales du Cameroun le 9 septembre 1976 et occupe la fonction jusqu’au 22 août 1983. Il devient ensuite chancelier de l’université de Yaoundé du 22 août 1983 au 13 septembre 1985. Joseph Owona est considéré comme le père du constitutionnalisme au Cameroun, et a été de la première génération des juristes et jurisconsultes ayant essaimé la science du droit au Cameroun et en Afrique.
Parcours politique
Ayant eu maille à partir avec le président Ahidjo du fait de ses positions intellectuelles progressistes proches du socialisme, et d’un article scientifique retentissant considéré comme une critique à l’endroit du pouvoir intitulé « L’ institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public camerounais » paru en 1974, le jeune Juriste Owona fait partie des personnes observées de près par le pouvoir et les services de sécurité notamment à cause de sa liberté de ton. Mais ayant comme protecteur Paul Biya, alors secrétaire général de la présidence de la République, cette proximité qui lui vaut d’échapper de peu à la répression.
Avec l’avènement de son mentor et protecteur Paul Biya au Pouvoir en 1982, Joseph Owona gravit les échelons du pouvoir. Il a plusieurs fois été ministre, et est surnommé à un moment donné par l’opinion Camerounaise « le sapeur-pompier », puisqu’en ce moment il semble bénéficier de la toute confiance du président Camerounais Paul Biya qui lui confie les dossiers les plus sensibles à gérer et en fait un baron clé de son système. Réputé très légaliste et surtout rigide, il apparait toutefois comme un fidèle de Paul Biya qui lui a évité les geôles du président Ahidjo qui voit d’un mauvais œil cet intellectuel libre et clairement à gauche dans un contexte où ce dernier est proche du pouvoir de droite du général de Gaulle et de ses héritiers.
Il occupe la prestigieuse fonction de secrétaire général de la présidence de la République du 9 avril 1992 au 21 juillet 1994, ayant été avant cette promotion secrétaire général adjoint. Il a laissé l’image d’un homme rigoureux et intègre, même s’il lui a été à un moment donné reproché son tropisme identitaire, par des accusations de Sème Ndzana, philosophe Camerounais, jamais prouvées. Dans les années 1990, il joue un rôle très remarqué dans le renforcement du pouvoir du président Paul Biya, bousculé par l’ouverture au multipartisme avec la montée en puissance de Ni John Fru Ndi, et la percée de l’UNDP dans la partie septentrionale. Owona est alors mis à contribution par son mentor pour sélectionner les jeunes élites du septentrion favorables au président Paul Biya et lui conforter la reconquête de cet espace qui lui tient à cœur, mission qu’il réussira et qui ramènera dans le giron du pouvoir cette partie du pays nostalgique de l’ère du président Ahmadou Ahidjo.
Bien qu’étant un soutien de Paul Biya, il jouit d’une certaine crédibilité auprès de toute la classe politique, notamment celle de l’opposition qui le considère davantage pour son intégrité et son rayonnement au sein du milieu universitaire où il compte des proches. Il est d’ailleurs proposé par cette dernière en 2008, par le chef de l’opposition camerounaise Ni John Fru Ndi, et Christian Cardinal Tumi, premier cardinal de l’histoire du Cameroun, qui voit en lui une personnalité objective et crédible pour faire partie de la direction de la Commission électorale indépendante, qui verra le jour en 2006 sans lui sous le nom d’Elections Cameroon.
Au cours de son passage au gouvernement, il joue un rôle clé, avec d’autres personnalités telles que les gardes des Sceaux maître Douala Moutome, Amadou Ali, ou Encore Maurice Kamto sous la coordination du président Paul Biya dans le règlement du différend sur le tracé de la frontière terrestre et maritime qui oppose le Cameroun à la république fédérale du Nigeria avec en apothéose en 2006 la signature des accords de Greentree sous l’égide de la Cour internationale de justice (CIJ).
Dans sa riche carrière gouvernementale, Joseph Owona est nommé par Paul Biya aux diverses fonctions du pouvoir. En 1985, il est nommé secrétaire général adjoint de la présidence de la République puis ministre de la Fonction publique et du Contrôle de l’État du 16 mai 1988 au 7 septembre 1990. Entre le 7 septembre 1990 au 9 avril 1992, il est ministre de l’Enseignement supérieur, de l’Informatique et de la Recherche scientifique, par ailleurs chancelier des ordres académiques de la république du Cameroun. Secrétaire général de la présidence de la République du 9 avril 1992 au 21 juillet 1994, il sera ensuite ministre de Santé publique (21 juillet 1994-19 septembre 1996), ministre délégué à la présidence de la République chargé du contrôle supérieur de l’État (19 septembre 1996 – 7décembre 1997-18 mars 200) ; ministre de l’Éducation nationale (18 mars 2000-8 décembre 2004).
Il devient très impopulaire du fait de sa rigueur en tant que ministre de l’Éducation nationale, avec des résultats désastreux au baccalauréat avec un pourcentage de 21 % de réussite, dans un contexte de préparation de l’élection présidentielle, l’opinion lui sera très défavorable. À ce propos il affirmera : «les résultats du bac sont le reflet du niveau des candidats».
Il a été membre titulaire élu du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) parti au pouvoir au Cameroun. Entre 2013 et 2015, il préside le comité de normalisation de la Fédération camerounaise de football (FECAFOOT) et fait preuve d’une intransigeance très appréciée par la FIFA, malgré une appréciation très mitigée de la part de l’opinion qui a du mal à accepter la rigueur de ce juriste chevronné, dans un pays où le football fait office de religion nationale. Il est ensuite nommé Par Paul Biya à sa sortie du gouvernement président du conseil d’administration de la Société de recouvrement des créances (SRC).
Sur le plan diplomatique, en 2018, Joseph Owona est désigné, aux côtés de l’ancien vice-président de la transition du Mali Dioncounda Traoré, par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale à l’effet de diriger la mission d’observation des premières élections présidentielles ayant conduit à l’alternance démocratique dans ce pays avec l’élection de Félix Antoine Tshisekedi. Considéré comme l’un des fidèles du président Paul Biya, et jouissant de l’image d’une personnalité n’ayant connu aucun scandale, ni accusation de détournement dans un pays où la corruption des politiques est largement décriée. Le 15 avril 2020, il est nommé membre du conseil constitutionnel en remplacement de Jean Foumane Akame décédé.