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Incident diplomatique Tchad/Cameroun: « le Tchad pourrait utiliser plusieurs leviers juridiques pour retarder la conclusion de la transaction entre la SNH et Savannah…. », déclare un expert Tcahdien, sous anonymat

Quelles sont les points de divergences entre le Tchad et le Cameroun sur le dossier Savannah ? Quelles conséquences pour le secteur pétrolier, les implications juridiques et quelle piste de solution ? Un spécialiste pétrolier Tchadien apprécie froidement la crise d’intérêts entre les deux pays.

Pouvez vous nous dire dans quelles mesures la décision de la SNH (Société Nationale des Hydrocarbures) au Cameroun d’acquérir une partie des actifs de COTCO est légalement fondée, en rapport avec la récente nationalisation des actifs de Savannah par le Tchad? 

Selon le communiqué de Savannah Energy PLC, la société a signé un accord de vente avec la Société Nationale Des Hydrocarbures (SNH) du Cameroun pour lui céder 10% du capital de Cameroon Oil Transportation Company S.A. (COTCo), qui possède et exploite la section camerounaise du pipeline Tchad-Cameroun et d’autres infrastructures liées. La transaction est soumise à certaines conditions et devrait être finalisée au second semestre 2023.

Toutefois, cette transaction intervient dans un contexte de nationalisation par le Tchad des actifs de production en amont de Savannah Chad Inc (SCI), anciennement Esso Exploration and Production Chad Inc (EEPCI), qui appartenait à ExxonMobil. 

Le président Mahamat Deby a émis un décret le 23 mars 2023 nationalisant les actifs de SCI au Tchad, puis le gouvernement du Tchad a adopté une loi le 31 mars 2023 confirmant la nationalisation des actifs de production en amont de SCI et prévoyant également la nationalisation de l’intérêt d’environ 40% de Savannah dans Tchad Oil Transportation Company (TOTCo), le propriétaire et l’exploitant de la section tchadienne du pipeline. Savannah a contesté la décision du Tchad, affirmant qu’elle était en violation directe des conventions auxquelles les deux parties sont liées, et qu’elle entendait faire valoir tous ses droits légaux. La société a également déclaré que la transaction avec la SNH n’était pas affectée par la nationalisation au Tchad, et qu’elle continuerait à travailler avec ses partenaires au Cameroun pour assurer le bon fonctionnement du pipeline1. La décision de la SNH d’acquérir une participation dans COTCo peut être considérée comme légalement fondée dans la mesure où elle relève de sa mission de gestion des intérêts de l’État dans le secteur pétrolier et gazier au Cameroun. 

La SNH est une société publique à capitaux exclusivement étatiques, créée en 1980 et dotée d’une autonomie financière. Elle a notamment pour mission de promouvoir, développer et contrôler les activités pétrolières et gazières sur l’ensemble du territoire national, en partenariat avec des sociétés pétrolières internationales6. Elle vend également la part de la production nationale de pétrole brut revenant à l’État sur le marché international, ainsi que sa propre part en tant qu’investisseur. 

La SNH a mis en promotion des blocs libres dans les bassins pétroliers riches du Rio del Rey (RDR) et du Douala/Kribi-Campo (DKC), offrant ainsi des opportunités d’exploration et de production aux opérateurs intéressés. La SNH détient actuellement 41,06% du capital de COTCo, qui sera réduit à 31,06% après la cession à la SNH de 10% détenus par SMIL. COTCo possède et exploite la section camerounaise du pipeline Tchad-Cameroun, longue de 903 km, qui a une capacité nominale de 250 kb/j et qui est la seule voie d’exportation internationale pour la production pétrolière au Tchad17. En 2022, COTCo a transporté en moyenne 124 kb/j de pétrole brut d’une valeur estimée à 4,6 milliards de dollars aux prix du Brent.

La décision de la SNH d’acquérir une participation dans COTCo semble être motivée par sa volonté de renforcer sa présence dans le secteur pétrolier et gazier au Cameroun, et de bénéficier des revenus générés par le pipeline Tchad-Cameroun. Toutefois, cette transaction pourrait être remise en cause par la nationalisation au Tchad des actifs de Savannah, qui conteste cette mesure et qui pourrait engager des actions légales pour défendre ses droits. Il est donc difficile de prévoir l’issue de ce conflit et ses implications pour les parties concernées.

Le Tchad pourrait il légalement contester la transaction SNH-Savannah? 

Le Tchad a contesté l’acquisition des actifs d’Exxon Mobil par Savannah Energy au Cameroun, affirmant que les termes finaux de la transaction étaient substantiellement différents de ce qui lui avait été présenté il y a un an. Le gouvernement tchadien a également menacé de demander aux tribunaux de suspendre les effets d’une opération violant ses droits sur les ressources du Tchad. Le ministère tchadien des Hydrocarbures et de l’Énergie a déclaré que les opérations pétrolières du Doba et le pipeline Tchad-Cameroun étaient des actifs vitaux et souverains pour le Tchad, et qu’ils ne pouvaient pas être mis en danger par une opération irrégulière. Il est donc possible que le Tchad conteste la décision d’achat de la SNH, qui réduit la part de Savannah dans COTCo de 41,06% à 31,06%. 

Toutefois, Savannah a affirmé que son acquisition des intérêts d’Exxon Mobil dans les champs du Doba et le pipeline TOTCo était conforme aux exigences des documents régissant et du droit applicable. La société a également indiqué que la transaction avec la SNH n’était pas affectée par la nationalisation au Tchad, et qu’elle continuerait à travailler avec ses partenaires au Cameroun pour assurer le bon fonctionnement du pipeline. 

La question de savoir si le Tchad peut contester avec succès la décision d’achat de la SNH dépendra probablement des arguments juridiques avancés par les parties et de l’interprétation des conventions qui les lient. Savannah a déclaré qu’elle entendait faire valoir tous ses droits légaux et que les conventions étaient soumises à la juridiction d’un tribunal de la CCI, siégeant à Paris. Il est donc possible qu’un arbitrage international soit nécessaire pour résoudre ce litige.

– Le  Tchad vient d’annoncer qu’il rappelle son ambassadeur basé au Cameroun, en guise de message de mécontentement en ce qui concerne cette transaction. Quels leviers juridiques le Tchad pourrait-il utiliser pour retarder la conclusion de la transaction? Du point de vue diplomatique, quelles pourraient être les conséquences de ce nouveau bras de fer sur les relations TCHAD-Cameroun, sachant que le Tchad dépend entièrement du Cameroun pour l’exportation de son pétrole, et une bonne partie de ses autres exportations et importations?

Le Tchad pourrait utiliser plusieurs leviers juridiques pour retarder la conclusion de la transaction entre la SNH et Savannah. Par exemple, le Tchad pourrait invoquer son droit de préemption sur les actifs de Savannah au Cameroun, en vertu de l’accord de consortium qui le lie à Exxon et à la SNH. Le Tchad pourrait également saisir les tribunaux compétents pour suspendre les effets de la transaction, en arguant qu’elle viole ses droits sur les ressources du Tchad et qu’elle met en danger ses intérêts stratégiques. Le Tchad pourrait enfin recourir à l’arbitrage international pour contester la validité de la transaction, en se fondant sur les conventions qui régissent les activités pétrolières et gazières dans la région.

Du point de vue diplomatique, ce nouveau bras de fer pourrait avoir des conséquences négatives sur les relations entre le Tchad et le Cameroun, qui sont pourtant des pays voisins et partenaires. Le Tchad dépend entièrement du Cameroun pour l’exportation de son pétrole, et une bonne partie de ses autres exportations et importations. Le pipeline Tchad-Cameroun est un élément essentiel pour l’économie du Tchad, qui tire plus de 70% de ses recettes publiques du secteur pétrolier. Le Cameroun, quant à lui, bénéficie des redevances versées par le Tchad pour l’utilisation du pipeline, ainsi que des investissements réalisés par les sociétés pétrolières dans le pays. Une détérioration des relations entre les deux pays pourrait compromettre la coopération économique et sécuritaire qui existe entre eux depuis toujours. 

Le Tchad et le Cameroun font partie de la Commission du bassin du lac Tchad, et de la CEMAC ainsi que de la CEEAC. Ils font également partie de la Force multinationale mixte, qui lutte contre le groupe terroriste Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. Une escalade des tensions entre le Tchad et le Cameroun pourrait fragiliser ces initiatives régionales et créer des risques d’instabilité politique et sociale dans toute la région, et bien au delà.

TchadOne avec Ripostescm.net 

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