Notation financière : La méthodologie des agences occidentales préoccupe en Afrique
Trois agences internationales se disputent l’espace des notations financières des entreprises ou des États sur le plan mondial. Il s’agit des cabinets Moody’s, Standard and Poor’s, et Fitch Ratings. Elles se partagent plus de 90% de ce marché. Leur méthodologie de notation est pourtant de plus en plus contestée en Afrique. Chefs d’entreprises, banquiers, Etats ou des agences de notation africaines accusent ces dernières d’attribuer des notations qui ne prennent pas en compte les réalités macro-économiques, financières et monétaires locales.
La mission principale des agences de notation consiste à donner une opinion sur la capacité d’un émetteur à remplir ses obligations vis-à-vis de ses créanciers, ou d’un titre à générer les paiements de capital et d’intérêts conformément à l’échéancier prévu. Ces organismes sont précisément chargés d’évaluer le risque de non-remboursement de la dette ou d’un emprunt d’un État, d’une entreprise ou d’une collectivité locale, exclusion faite des particuliers. Plusieurs critères sont pris en compte pour attribuer une notation financière à l’endroit d’un client : informations communiquées par l’émetteur, données macro-économiques, expérience du secteur etc…Des critères de plus en plus contestés par les specialistes africains du secteur de la notation financière. L’Afrique enregistre en effet depuis les années 90, la naissance des cabinets locaux de notation financière. Agusto & Co, Bloomfield Investment Corporation, Global Credit Rating Co. (Gcr), Wara ou l’agence camerounaise Ewatch Africa Investment Analytica S.A, font office de précurseurs dans le secteur de la notation financière africaine.
«On voit malheureusement certains pays qui se complaisent avec les notes données par Standard and Poor’s et Moody’s, parce que ce sont Standard and Poor’s et Moody’s. C’est dommage, il faut sortir de ce complexe, et se dire que quand S&P ou Moody’s vous donne un B+, cela veut dire « risque élevé ». Il n’y a pas de quoi s’en réjouir », indiquait récemment Stanislas Zeze, le président directeur général de l’agence ivoirienne Bloomfield investment corporation. Pour Anouar Hassoune, président directeur général du cabinet Wara, une agence de notation ouest-africaine adossée au géant sud-africain Gcr, «la notation en devise locale est d’autant plus essentielle que de plus, on voit arriver sur le marché en devises locales, et non pas pour les devises internationales, des investisseurs étrangers. Il existe dans les pays du nord et aussi en Asie des investisseurs obligataires qui ont de l’appétit pour les émissions en fcfa, en naïras. Par conséquent, il est important que ces investisseurs aient accès à une information indépendante et de bonne qualité». Plus précisément, le plaidoyer des deux managers porte sur la prise en compte des réalités issues du contexte fînancier et macro-économique local.
Faiblesses
Pour ces derniers, les agences de notation traditionnelles ignorent la spécificité des économies africaines. Spécificité qui repose sur une faiblesse structurelle à générer des rentrées de devises internationales. «C’est un point important, car c’est sur la capacité à rembourser une dette en dollars ou en euro que les grandes agences jugent les États et les entreprises», indique le président directeur général de Bloomfield Investment. Ils interpellent par conséquent les dirigeants africains sur l’impérieuse nécessité de recourir aux agences de notation africaines. Stanislas Zeze donne clairement sa perception sur les agences de notation occidentales dont les premières limites se perçoivent sur la méthodologie et les critères d’évaluation qui diffèrent selon les agences: «prenez la Côte d’ivoire par exemple. La note de Fitch ou de Standard and Poor’s est 2B-, ce qui équivaut à « risque assez élevé ». Chez Bloomfield, la note est de A-, soit « risque faible ». Car vous avez bien remarqué que la Côte d’ivoire a une économie assez résiliente et assez performante, même si elle a des faiblesses. Cette différence de note va conditionner le taux de crédit auquel un État ou une entreprise va emprunter».
C’est pour renforcer l’influence régionale et internationale des agences de notation financière africaine que le 13 janvier 2021, Wara et Gcr ont signé un accord de cession de capital. En témoigne cette réaction de Marc Joffe, le Directeur général de Gcr «Wara renforce la dimension francophone du groupe Gcr qui, jusqu’ici, couvrait essentiellement les principaux marchés anglophones d’Afrique. Wara et Gcr partagent la même vision stratégique, à savoir que l’échelle pertinente pour la notation financière en Afrique est continentale». Stanislas Zeze propose, in fine, aux États africains et aux entités qui opèrent sur le continent d’avoir leur notation financière en monnaie locale d’abord, et ensuite établir une note en devise étrangère.
Goldstone
La percée des agences de notation financière africaines
Quatre cabinets principaux de notation financière font face à la concurrence des puissantes agences étrangères toujours sollicitées par d’importants clients.
Agusto & Co
A l’origine spécialisée dans l’information économique, Agusto & Co va muter en cabinet de notation financière en 1992. Une première en Afrique. L’agence nigériane focalisait ses notations vers les banques exclusivement. Elle élargira progressivement ses activités vers les institutionnels (compagnie d’assurances, sociétés de crédit-bail, fonds, collectivités locales). En plus de la notation financière, Agusto & Co développe, au profit des investisseurs, des services d’analyses économiques sectorielles dans le secteur des assurances, l’immobilier, les télécommunications ou la gestion de risque crédit. Après bientôt 30 ans d’activités, l’agence s’est implantée en 2013 au Kenya et au Rwanda. Et compte parmi ses clients la banque Uba (United bank for Africa). Le conseil d’administration de cette agence de notation d’origine nigériane a été fondée en 1992 par Olabode Agusto.
Gcr Ratings
Comme Agusto & Co, l’agence Global Credit Rating Co. (Gcr) peut également être énumérée parmi les institutions pionnières dans le secteur de la notation financière en Afrique. Le cabinet Sud-africain est implanté au Zimbabwe, en Zambie, au Nigeria, au Kenya, et désormais en Afrique francophone. L’expertise de l’agence Gcr se concentre sur les activités des assurances, des banques ou des entreprises publiques. Attribuant d’une part des notations en devise locale sur une échelle nationale. Face aux «bigthree» que sont Moody’s, Standard & poors, Fitch Rating, l’agence Gcr attribue d’autre part, des notes au niveau international, en devise étrangère. Elle a acquis, janvier 2021, 65% du capital de l’agence Wara. Acquisition au terme de laquelle le groupe élargit son portefeuille de contreparties qui s’élève désormais à 600 notes. Fondée en 1996, le groupe couvre désormais 30 pays africains. Marc Joffe occupe le poste de directeur général, et Olivier Beroud, le celui de président du conseil d’administration de Gcr
Wara
D’après les experts, West Africa Rating Agency (Wara) a significativement participé à promouvoir l’activité de notation financière en Afrique subsaharienne, précisément en zone Uemoa (Union économique et monétaire d’Afrique de l’ouest). Dirigée par Anouar Hassoune, président directeur général de l’institution, l’agence Wara est désormais bien implantée en Afrique de l’ouest, et couvre depuis Dakar, son siège social, tout l’espace Uemoa. L’agence Wara a obtenu son agrément en tant qu’agence de notation en 2012. Après 24 ans d’activités, elle couvre 8 pays de la sous-région et son portefeuille se compose de 45 entités notées. Portefeuille clients composé d’importantes institutions comme le port autonome de Dakar, le groupe Sifca, Cfao Motors Côte d’Ivoire, la Saph, Coris Bank, Filtisac SA, etc….Wara a cédé 65% de son capital au Cabinet Gcr en janvier 2021.
Bloomfield Investment corporation
Agréée depuis 2012, l’agence Bloomfield Investment corporation est dirigée par l’ivoirien Stanislas Zeze. Elle dispose de plusieurs contrats avec des entreprises ou institutions ivoiriennes, sous-régionales et africaines. Son portefeuille est constitué de clients tels que Pétro Ivoire, Palmci, Crown Siem, Boa Bénin, le Port autonome d’Abidjan, le Fonds d’entretien routier ivoirien (Fer), Camtel, l’Ansut, la Sodeci, etc….Bloomfield Investment a obtenu en 2015 son agrément auprès du Capital Market Authority du Rwanda. D’où l’ouverture d’une représentation à Kigali. Puis celle de Douala. Son histoire sera marquée par la mise en place d’un indice du secteur privé ivoirien à destination du patronat local. Un outil novateur de mesure des performances des entreprises ivoiriennes. Bloomfield Investment se positionne d’après Stanislas Zeze comme la première agence de notation francophone et panafricaine.
Réaction
Les méthodologies de notation des agences occidentales sont-elles adaptées aux réalités de l’environnement local africain?
Il convient de rappeler d’entrée de jeu que la notation financière répond à des canons scientifiques qui sont immuables quel que soit le lieu où l’on se trouve. La notation financière est l’expression de la solvabilité d’un emprunteur (État, entreprise, collectivité publique) ou d’une opération (emprunt, emprunt obligataire, titritisation, etc.) à travers un indicateur codifié qui peut être représenté sous forme alphanumérique (B1), alphabétique (AA) ou numérique (4). C’est le résultat d’une démarche d’analyse financière fondée sur une approche mixte (qualitative et quantitative) et mise en œuvre à travers un ensemble de diagnostics (stratégique, opérationnel, financier et prévisionnel) et de critères d’analyse (activité, trésorerie, rentabilité et solvabilité).
Le problème ne vient donc pas de la méthode, mais de la méthodologie appliquée par les agences occidentales. En évaluant la solvabilité des emprunteurs basés en Afrique, ces dernières adoptent une logique exogène justifiée par le profil des investisseurs à qui elles destinent leurs travaux (essentiellement occidentaux). Par conséquent, la perception des risques est amplifiée parce qu’elle ne tient pas compte des réalités locales, mais plutôt des attentes des investisseurs étrangers, qui généralement ne font pas confiance aux devises locales pour réaliser leurs investissements. Dans ces conditions, face à deux emprunteurs présentant les mêmes niveaux de performances stratégique, opérationnelle et financière, l’entreprise basée en Afrique recevra systématiquement une note plus dégradée à cause de l’environnement dans lequel elle évolue et du peu de confiance qu’il inspire aux investisseurs étrangers.
Quel rôle peuvent jouer les agences de notation financières africaines?
Les agences de notation financière devraient développer une méthodologie adaptée au contexte actuel de l’Afrique subsaharienne, en sachant que celle-ci pourrait évoluer au rythme de l’amélioration des performances des opérateurs économiques, pour rejoindre progressivement les standards internationaux. Il serait très difficile de mobiliser les ressources financières étrangères dont l’Afrique a besoin sans convaincre avec méthode et rigueur les investisseurs sur une connaissance plus approfondie et plus pertinente des ressorts qui déterminent les performances financières des économies africaines et qui ne coïncident pas toujours avec ceux mis en évidence dans les modèles occidentaux.
Le rapport à la propriété privée et à la rentabilité financière des investissements n’est pas tout à fait le même en Afrique subsaharienne qu’ailleurs. C’est ce qui peut expliquer cette impression de négligence ou d’incompétence caractérisée des dirigeants et managers africains. Pour autant, l’approche communautaire qui semble se dégager du modèle économique africain n’est pas nécessairement incompatible avec les exigences de rentabilité financière. D’où l’indispensable mission d’éducation financière que les agences de notation doivent également remplir vis-à-vis des différentes parties prenantes des marchés bancaires et financiers afin d’assurer une allocation efficace et efficiente des ressources financières et de garantir la stabilité du système financier et in fine de l’économie dans son ensemble.
Recueillis par Goldstone