C’est approximativement le montant encaissé par la Direction générale des impôts (DGI) depuis 2015, du fait de l’institution d’un régime particulier sur les revenus non-commerciaux, avec un taux de 11%. Parmi les niches nouvelles qui contribuent aux recettes fiscales, figurent également les droits d’accises spécifiques sur les boissons ou la Taxe spéciale sur les produits pétroliers. Dans une interview, Modeste Mopa Fatoing, le Directeur général des impôts, fait des révélations sur les mécanismes de collecte des impôts pour le compte de l’État. Lire.
– Monsieur le Directeur général des impôts, vous venez de publier un rapport décennal qui retrace les réalisations de l’administration fiscale entre 2010 et 2020, période qui correspond par ailleurs à la mise en oeuvre du Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE). Quelle aura été la contribution de la politique fiscale à l’atteinte des objectifs de croissance et d’emploi fixés par le gouvernement?
La contribution de la politique fiscale à l’atteinte des objectifs de croissance et d’emplois fixés dans le cadre de la première phase de mise en oeuvre du DSCE, s’est située à un double niveau. Premièrement, du point de vue du financement de cette stratégie définie par les autorités. Comme vous le savez, les recettes fiscales constituent la première source de financement de l’action publique. À ce titre, elles ont permis à l’État et aux autres entités publiques qui en sont également bénéficiaires à l’instar des collectivités territoriales décentralisées, de disposer sur cette période de référence, d’une marge de manoeuvre budgétaire nécessaire à la mise en oeuvre de la stratégie. Cette contribution de l’administration fiscale nous semble d’autant plus importante que sur ladite période, les recettes fiscales mobilisées ont crû de 124,7% en passant de 1006 milliards de FCFA en 2010 à 2261,8 milliards de FCFA en 2019. Ainsi, tout au long de cette période, les autorités ont-elles pu poursuivre les actions de développement et faire face au service de la dette grâce aux ressources mobilisées.
Deuxièmement, sur le volet de la stratégie qui visait à promouvoir une croissance forte et génératrice d’emploi, la politique fiscale mise en oeuvre au cours de la décennie de référence aura été en tous points alignée sur ces objectifs macroéconomiques. Il en est ainsi notamment de la mise en place de nombreux régimes d’incitation à l’investissement privé, à l’instar de ceux consacrés à la faveur de la loi du 18 avril 2013 au bénéfice dds projets dans les secteurs porteurs de croissance (l’agriculture, l’industrie, le tourisme etc…), du régime fiscal de promotion du secteur de l’agriculture, du régime fiscal de promotion de la recherche et l’innovation, du régime fiscal de promotion des matières matières locales etc….
Dans la même veine, l’amélioration de l’attractivité fiscale de notre territoire s’est traduite par une politique de décrue des taux d’imposition touchant aussi bien à l’impôt sur les sociétés qui est passée de 38,5% à 33%, l’impôt sur les plus-values immobilières qui est passé de 10 à 5% ou encore les droits d’enregistrement des mutations immobilières.
– En 2016, l’Institut national de la statistique (INS) a recensé 209.000 unités économiques en activités dans le pays et opérant dans un local professionnel fixe. Un effectif qui représente près du double du fichier de contribuables de la Dgi, évalué à 121.566 en 2019. Cette faible population fiscale n’est-elle pas la raison d’une certaine pression ressentie par ceux qui s’acquittent légalement de leurs impôts?
Une précision me semble d’emblée nécessaire: le chiffre de 121.566 contribuables répertoriés au fichier de la Dgi en 2019 représente la population fiscale active, à savoir les contribuables qui s’acquittent régulièrement de leurs obligations fiscales auprès des services fiscaux de l’État. Ce chiffre n’intègre donc pas un pan non négligeable de la population fiscale qui acquitte des impôts auprès des collectivités territoriales décentralisées. Vous convenez avec moi qu’une fois ces données prises en compte, l’écart auquel vous faites allusion devrait être réduit à sa plus simple expression.
Toutefois, l’ambition de toute administration fiscale est de se rapprocher de l’optimum, en termes de population fiscale et d’assiette imposable. D’où le travail d’élargissement continu de l’assiette qui est commun à tous les services fiscaux, en particulier ceux des pays en développement ou l’informel est prégnant. C’est en cela que la réforme en cours du Partenaire fiscal intégré (PFI) traduit l’ambition de l’administration fiscale camerounaise de fiscaliser l’ensemble des activités économiques exercées sur le territoire national. Cette réforme postule que nous dépassions les outils légauxcontraignants mis à notre disposition pour développer davantage une approche plus partenariale et collaborative avec les contribuables et les groupements de contribuables dans le déploiement des opérations fiscales. Il s’agit en d’autres termes de développer une approche d’une relation gagnant-gagnant entre les services fiscaux et les contribuables.
– Quelles sont les nouvelles niches fiscales identifiées par la Direction générale des impôts durant la décennie dans le processus d’élargissement de l’assiette fiscale et leur rapport au recouvrement des recettes?
L’élargissement de l’assiette fiscale est la pierre angulaire de la politique fiscale définie par les autorités de notre pays, soucieuses de ne pas alourdir la charge fiscale sur les contribuables. En droite ligne de cette orientation politique, l’administration fiscale s’est attelée au cours de la décennie 2010-2019, à identifier les niches fiscales non ou peu imposées. Au rang de celles-ci, il convient tout d’abord de citer les droits d’accises spécifiques sur les boissons qui ont été institués en 2015. Cette réforme qui vise à lutter contre les externalités négatives des boissons, notamment alcoolisées, a produit des recettes fiscales additionnelles annuelles d’environ 100 milliards de FCFA depuis lors.
Le cas de la Taxe spécialesur les produits petroliers (TSPP), mérite également d’être cité. Son rendement est passé de 83 milliards de FCFA en 2010 à 128,7 milliards de FCFA en 2019, essentiellement du fait de la réforme de sa modalité de prélèvement, intervenue en 2014, avec l’érection de la Société de distribution des produits pétroliers (SCDP) comme seul redevable de cet impôt, en remplacement des différents marketers.
Une autre niche fiscale importante à laquelle il a fallu s’attaquer est celle des cessions d’entreprises de droit camerounais intervenant à l’international. Longtemps, les pays en développement ont paru juridiquement démuni face aux restructurations d’entreprises et de groupes d’entreprises se déroulant sur les grandes places financières mais pouvant concerner les entités (filiales ou succursales) situées sur leur territoire. Avec les lois de finances 2014 et 2015, le Cameroun s’est doté d’un arsenal juridique lui permettant de fiscaliser la part du revenu des opérations de restructurations internationales relatives aux filiales camerounaises. C’est ainsi que depuis 2014, la DGI a réalisé une moyenne de 25 milliards par exercice sur ces activités.
Les primes, gratifications, indemnités et autres perdiems alloués en marge du salaire par les entités publiques et parapubliques échappaient à toute imposition jusqu’en 2015. Un régime particulier a été défini par le législateur depuis lors, celui des revenus non commerciaux (RNC), avec un taux d’imposition de 11%, pour soumettre les susdits revenus à l’imposition, avec un rendement moyen par exercice compris entre 5 et 6 milliards de FCFA.
Au plan administratif, des synergies développées, sous la houlette du Ministre des finances, avec la Direction générale du budget, ont permis d’optimiser le rendement fiscal des opérations sur le budget de l’État et l’exécution de la commande publique, notamment concernant les dépensesréalisées en procédures dérogatoires (règles d’avance, avances de trésorerie, mises à disposition, subventions etc….). Ces mesures de sécurisation des recettes ont conduit à une mobilisation supplémentaire des impôts et taxes sur l’exécution du budget de l’État de près de 40 milliards de FCFA, pour le seul quatrième trimestre 2017. Au titre de l’exercice 2018, cette réforme a induit une mobilisation supplémentaire de recettes dd 68,4 milliards de FCFA.
Il convient en outre de mentionner l’apport du dispositif d’échanges d’informations à but fiscal tant au plan international, sous l’égide de l’OCDE, qu’au plan interne, notamment avec notre administration-soeur, la Direction générale des Douanes, qui a permis d’élargir les bases d’imposition et de lutter contre la fraude fiscale. À y regarder de près, seule la dépense fiscale (exonérations et autres mesures ayant pour effet de réduire ou de différer les impôts et taxes payables par les contribuables) semble représenter aujourd’hui le défi majeur en matière d’élargissement de l’assiette fiscale. Il s’agit notamment de l’exonération de TVA sur les biens de grande consommation qui est au confluent de contraintes est encore plus forte dans le contexte de la crise inflationniste actuelle.
– Sur la base des données actualisées en votre possession à date, qui sont les principaux contributeurs (profil, secteurs d’activités, niveau de revenu), aux recettes fiscales du pays?
Cela pourrait vous surprendre, mais la réponse à votre question n’est pas aussi évidente qu’elle pourrait paraître. En effet, le système fiscal camerounais du fait de la grande prédominance du secteur informel est essentiellement fondé sur le mécanisme des grands collecteurs, qui du fait d’un certain nombre de garanties qu’ils présentent, sont autorisés par l’État, à prélever les impôts des tiers (clients, fournisseurs, salariés etc….) et à les reverser au Trésor public. Ces grands collecteurs se retrouvent pour la plupart au sein de la Direction générale des grandes entreprises (DGE) qui compte à ce jour plus de 500 contribuables. Ceux-ci abattent un travail appréciable d’auxiliaires de l’Administration fiscale dans la collecte des recettes fiscales. Ainsi, aujourd’hui, plus de 70% des recettes fiscales mobilisées par la DGI proviennent de la DGE. Soit environ 1600 milliards de FCFA. Cela ne veut pas pour autant dire qu’il s’agit des impôts supportés par les grandes entreprises. Les grandes entreprises collectent et reversent dans les caisses de l’État, pour l’essentiel, les impôts dus par les moyennes entreprises, les petites et microentreprises ou les particuliers. Il en est ains de la TVA, de la TSPP, des droits d’accises, des impôts sur les salaires etc…Leurs propres impôts à elles représentent environ 12 à 15% de ce qui est réservé au niveau de la DGE. Je conclurai donc en disant que c’est l’ensemble des concitoyens camerounais, entreprises et particuliers, qui contribuent à la cagnotte fiscale. Certains le font avec beaucoup plus de civisme et c’est ce qu’il faut apprécier.
Ripostescm.net avec DGI News