20 septembre 2024

Interview avec Abbas Mahamat Tolli (3ème partie): « on ne peut pas freiner la technologie, surtout dans le domaine des Fintech… »

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Dans ce dernier extrait, le Gouverneur de la Beac a clairement défini la nécessité d’arrimer la politique de la Banque centrale aux évolutions qu’offrent les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Bien que des avancées existent, ce dernier estime que beaucoup reste à faire sur le plan réglementaire.

Pensez-vous avoir déjà répondu aux attentes des Chefs d’États dans la haute mission, à vous confiée, de construction d’un marché financier dynamique, comme alternative au système bancaire, après la fusion réussie qui fait de la Bvmac, l’unique marché secondaire sous régional?

Notre potentiel est énorme. Néanmoins, il faut encore faire souscrire beaucoup d’entreprises à la bourse. En termes d’actions, en ce qui concerne la soutenabilité extérieure, on avait à la prise de service, un niveau de soutenabilité très fragilisé, on est passé à 4,5 mois de couverture de nos importations. Nous sommes au moins à 19 milliards de FCFA, de déficit dans l’exploitation de la banque centrale. On a conclu avec les résultats en 2022, avec  114 milliards de FCFA, on avait 3200 milliards de FCFA de rétrocession par les agents  économiques à la banque centrale. Ce qui limitait nos capacités de couverture, grace aux réformes, que nous avons réalisé, nous sommes passés à  12.000 milliards  de FCFA de rétrocession. Et pendant tout ce temps, les flux de sorties avoisinent à peu près 11.000 milliards de FCFA. 

Donc, les pays ont été capables d’honorer à leurs engagements extérieurs, ainsi que les importations assurées, pendant cette période, malgré les crises successives (chute des coûts de pétrole, Covid-19 et ses conséquences socio-économiques), mais aussi, les questions sécuritaires (guerre en Ukraine). Ces réalisations ont été faites dans une conjoncture très difficile pour les économies. Nonobstant cette situation, le mandat pour l’invitation de la bourse a été une réussite. Je tiens à remercier les États qui ont bien voulu nous aider dans la conduite de ces projets. Notre système financier se renforce et malgré la crise, il s’est montré résilient, et c’est à féliciter. 

Au niveau du marché monétaire, les échanges au niveau des marchés interbancaires se sont complètement accrus. Notre politique monétaire a une meilleure incidence dans le secteur réel, avec notamment la modernisation de nos systèmes et moyens de paiement avec l’interopérabilité des paiements monétiques. Nous sommes rendus à plus de 1,4 milliards de transactions réalisées par les citoyens de la Cemac, avec des paiements électroniques. Nous devons réaliser beaucoup de choses pour que notre économie soit plus forte et créatrice de richesses, en commençant par transformer les matières premières que nous exportons. 

Vous avez évoqué les enseignements que nous tirons de la crise sanitaire, ainsi que la guerre en Ukraine. Le danger pour nous ici résidait dans le fait de ne pas pouvoir importer les produits de premières nécessités. Nous avons des millions de terres arables qui sont parcourues par des cours d’eau, avec une bonne pluviométrie dans la Cemac, ne faut-il pas songer à mettre en place des politiques d’import-substitution pour assurer la sécurité alimentaire dans la zone durablement et à moindre coût ?  Lorsque nos pays mettront en place de telles politiques sectorielles, les citoyens de la Cemac n’auront plus besoin de devises pour importer ces biens-là, parce que nous pouvons les produire localement et les payer dans notre propre monnaie en zone Cemac, et ce n’est pas le rôle de la banque centrale. 

Mais ce sont des choses que nous devront faire pour réduire le chômage, garantir notre souveraineté au plan alimentaire tout en créant plus d’emplois, avec la transformation locale de nos produits.Donc, au-delà des questions financières et monétaires, il y a l’aspect économique à développer.

Pensez-vous déjà à digitaliser notre monnaie, un peu comme le Naira au Nigéria, de telle sorte qu’on ne soit plus obligé d’avoir des billets de banque, et surtout que cela se fasse dans le sens vraiment innovant, qui fait en sorte que, via une application, on peut faire circuler de l’argent et créer sa richesse ?

Aujourd’hui les systèmes et moyens de paiement dans la zone Cemac sont instantanés. Je viens d’évoquer les plateformes de paiement mobiles que nous avons mis en place. Que vous ayez un portefeuille sur Airtel ou Orange, ou tout autre opération qui se trouve dans la zone et qu’il soit interconnecté à notre système d’interopérabilité, quelque soit votre pays de résidence jusqu’à 5 millions de transactions, le paiement est fait de façon instantanée. Au niveau des banques, parlant des crédits, nous avons une croissance annuelle de plus de 15% d’augmentation et ce, malgré les crises que nous avons traversées, il y a une dynamique constante de volumes du crédit dans nos systèmes. 

Peut-être que ce n’est pas suffisant. Cela nécessite aussi un accompagnement des entrepreneurs pour être capable de monter les dossiers bancables avec des états financiers prévisionaires, avec une opportunité d’affaires bien identifiée. Il faut avoir un document bancaire persuasif pour les banquiers, pour qu’ils consentent à accorder un crédit. Parlant de la monnaie digitale des banques centrales, ce sont des projets que toutes les banques sont entrain d’examiner, et la Beac, n’est pas en reste. Les évolutions vont continuer parce qu’une chose est vraie, on ne peut pas freiner l’innovation, on ne peut pas freiner la technologie, surtout dans le domaine des Fintech. Il faut être à jour pour tirer le meilleur parti de ces innovations, surtout dans le secteur financier.

Les outils existent, mais les taux de transferts parfois dérangent un peu. Je parle sous le contrôle des citoyens de la sous-région qui disent: «on transfère, mais ça coûte un peu plus cher ». Peut-être que si on le faisait via l’application de la banque centrale, ça ne coûterait pas si cher. Vous nous rassurez que la trajectoire tende un peu vers cela ?

Aujourd’hui, il y a des intermédiaires dans le secteur financier. La banque centrale crée l’environnement et le réglemente. Pour les coûts, il faut dire que ce n’est pas la banque centrale qui vient aggraver les coûts. Ce sont les taxes qui viennent aggraver ce type de transactions. Et si on parle des taxes, on ne parle pas de politique monétaire, mais bien d’autres choses. Il y a aussi des efforts de ce côté pour que des innovations naissantes soient favorisées, en baissant les coûts à tous les niveaux, pour permettre que les transactions soient facilitées. 

– L’actualité aussi c’est la nouvelle gamme monétaire qui est en circulation et qui passe très bien auprès des consommateurs avec une inclusion au niveau des langues. Toutes les premières langues des États de la sous-région sont libellées sur ces coupons en circulation. 

Oui c’est un fait ! Aujourd’hui les nouveaux billets de banque sont identifiables par les personnes mal voyantes grâce à des écritures en relief, et d’autres éléments de sécurité sont visibles avec la lumière ultraviolette. Ce qui permet d’avoir une longueur d’avance par rapport à la contrefaçon. Tous ces éléments de sécurité incorporés dans la masse de nos nouveaux billets participent de l’intégration de la Cemac.

Félix Beda (ripostescm.net) et Guy Fondop (Fortune Afrique)

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